Deuxième chance (Inde)
21.06.2019 au 16.09.2019
Retour en Inde.
Nous retournons en Inde, serions-nous masochistes ? Les deux raisons principales motivant notre choix sont de donner une chance à l’extrême nord du pays, notamment la région du Ladakh, ainsi que d’accomplir un projet qui nous trotte dans la tête depuis plusieurs mois. C’est donc remplit d’espoir que nous franchissons la frontière. Malheureusement, dès les premiers contacts avec la circulation indienne nos démons refont surface. De plus, nous tournons pendant plusieurs heures dans la première ville après la frontière à la recherche d’un endroit où dormir. Étrangement les réponses des différents établissements sont toutes similaires, « c’est complet » que nous déchiffrons aisément comme un « nous n’acceptons pas les étrangers ». Nous finissons par trouver un hôtel nous acceptant et, dès le lendemain, filons vers les montagnes. La route en direction de celles-ci est atroce mais nous nous réconfortons en reprenant nos habitudes en nous arrêtant dans de petites gargotes pour nous offrir notre principal repas de la journée. Les jours suivants, la route s’améliore, les paysages deviennent intéressants et, malgré quelques averses, nous prenons du plaisir à rouler. Dans ces conditions nous arrivons au petit village de Munsyari où nous logeons chez une charmante famille. Toujours sous la pluie nous constatons qu’en nous éloignant des montagnes tout ce que nous n'avions pas aimé de l'Inde lors de notre premier séjour refait surface. Nous poursuivons donc au plus vite et nous rendons à Auli, petite station d’altitude. La route y menant est variable contrairement à la météo qui est au beau fixe. En arrivant nous nous offrons un joli point de vue sur le Nanda Devi, plus haute montagne entièrement sur le territoire indien. En revanche, l’ascension ne plait pas à Bonnie qui manque de puissance et fait un bruit mécanique peu rassurant. A cet instant, nous prenons alors une décision un peu folle : faire du camping sauvage en Inde. Nous installons donc notre tente et passons l’après-midi à inspecter Bonnie et admirer les montagnes jouant à cache-cache avec les nuages. Le soir, nous rencontrons des familles en vacances qui nous invitent à manger avec eux. Nous nous réconcilions l’espace d’un instant avec l’Inde, mais jusqu’à quand ?
« If » is a dangerous word.
La santé de Bonnie n’étant pas rassurante, nous décidons de redescendre de nos montagnes et, par la même occasion, d’être à nouveau confrontés au summum de la bêtise. Si nous tentons au maximum de suivre notre devise qui est d’emprunter les plus petites routes possibles - moins fréquentées et la plupart du temps plus panoramiques et en meilleur état - nous n’avons parfois pas d’autre choix que de retomber sur de grands axes, et c’est là que le bât blesse. Lors d'un arrêt après une journée éprouvante et en pleine négociation pour une chambre d'hôtel la remarque du tenancier nous frappe de plein fouet : "si" est un mot dangereux. Nous comprenons que nier l'éventualité est un état d'esprit qui en dit long sur sa vision des choses.
A Mussoorie, nous retombons dans les pires travers. Sur la route tout d’abord, où nous retrouvons l’égoïsme pur et dur. Une fois dans le village, très touristique, nous refaisons face au racisme anti-blanc en ne parvenant pas à obtenir une chambre dans plusieurs hôtels et terminons certainement dans la pire qu’on ait jamais eu. Quelques mètres carrés miteux desquels nous nous échappons pour être à nouveau entourés de gens venant des quatre coins du pays pour la seule raison de se prendre en selfie. Nous repartons donc au plus vite (malgré le frein arrière d’Amaia qui rend son âme). En sortant de Mussoorie et en direction de Dehradun – ville à quelques kilomètres et notre prochaine destination - nous décidons de faire une pause pour nous réconforter avec un petit déjeuner en terrasse. Récit du carnet de voyage de Marvin :
On s’installe et attendons d’être servis. Un serveur arrive, débarrasse notre table et jette tout par dessus la rambarde, en pleine nature. Je vois ça du coin de l’œil donc ne réagit pas tout de suite, pas Amaia qui s’énerve. A mon tour, je dis au gars que c’est lui que je vais balancer par dessus, je fais mine de l’empoigner pour lui faire comprendre. On décide de partir. En passant par la caisse, je vois le serveur qui raconte à son collègue ce qui vient de se passer en rigolant (ce qui me rend fou), on leur remet quelques couches de remarques, qu’ils ne comprennent pas, évidemment. On remonte sur nos motos et Amaia me dit qu’elle aimerait leur vider la caisse pleine de déchets qui est à côté de nous au visage. Ni une ni deux, je descends de la moto, prend la caisse et la vide derrière leur comptoir, je jette la caisse ensuite et m’en vais. Je fais demi tour avec la moto, un gars vient vers moi et me demande « What's wrong with you », je l’ignore. On file.
Heureusement notre séjour à Dehradun est bien différent, notamment grâce à la rencontre de Mona et Biswajit. En bonne partie lucides sur leur pays, nous passons une douzaine de jours chez eux où nous sommes accueillis merveilleusement. Propriétaires d’un garage, nous profitons pour remettre à niveau nos motos avant de nous lancer dans l’exigeante vallée de Spiti.
En route pour Spiti.
Nous entrons dans le vif du sujet en même temps que dans la vallée de Kinnaur par laquelle nous rejoindrons celle de Spiti. A peine le temps de réaliser que nous y sommes que Klyde toussote. Nous nous arrêtons sur le bord de la route et auscultons la machine pendant deux heures afin de déterminer la cause. Le diagnostic n’est pas complètement établi mais nous soupçonnons un problème provenant de l’essence ou de l’air (notamment car le filtre à air n’était pas en parfait position). Nous décidons néanmoins de poursuivre et de nous enfoncer dans la vallée qui nous offre quelques tronçons à encorbellements saisissants. Le lendemain, nous nous rendons au village de Reckong Peo, notamment pour mettre de l’essence (rare dans ces contrées). Nous en profitons également pour avoir de jolis points de vue sur les montagnes, certaines enneigées, d’autres en forme de pics acérés déchirant le ciel. Lorsque nous repartons, nous effectuons quelques kilomètres et sommes rapidement bloqués par un éboulement ayant eu lieu dans la nuit. Nous devons alors patienter pendant plus de deux heures afin que la roche soit dynamitée et la route dégagée. Pendant ce temps nous faisons des rencontres éphémères et observons les rochers énormes poussés du haut de la falaise et venant finir leur course avec fracas dans le cours d’eau en contrebas. Une fois repartis la route varie d'un état déplorable a du très bon bitume, en passant par des ponts en bois où il ne fait pas bon regarder en bas. A un poste de contrôle, nous découvrons qu'il nous faut un permis pour continue … que nous n’avons pas. Pas d’autre choix que de revenir sur nos pas, repasser par Reckong Peo pour obtenir le document en question puis repartir. Tout se déroule en douceur jusqu’à ce que nous reprenions la route dans la bonne direction et que nous croisions une ribambelle de camions venant dans le sens inverse. En voulant laisser passer l’un d’entre eux, Amaia, alors sur le bas-côté, perd l’équilibre et fait tomber Bonnie sous les roues du poids lourd. Celui-ci n’allant pas très vite, les dégâts sont limités, jusqu’à ce que le chauffeur décide de reculer et d’entrainer avec lui la moto sur quelques mètres. Résultat des courses : levier de frein, saut de vent et tableau de bord endommagé. Nous arrivons tout de même à rejoindre un petit village où passer la nuit et parvenons à bricoler avec les moyens du bord pour nous permettre de poursuivre dès le lendemain.
D'une vallée à l'autre.
Nous entrons dans la vallée de Spiti à proprement parler en commençant par longer la rivière du même nom avant de prendre de l’altitude rapidement. Les paysages s‘embellissent à vitesse grand V et lorsque nous nous arrêtons pour le petit déjeuner nous oublions que nos motos sont en petite forme. Quand nous redescendons de l’autre côté de la vallée, nous retrouvons la rivière de Spiti et la suivons jusqu’en fin de journée. Après quelques emplettes pour le soir, nous nous éloignons perpendiculairement du cours d’eau pour nous enfoncer dans une nouvelle vallée dénommée Pin. Après quelques kilomètres, nous trouvons un endroit ou poser notre tente. Entourés de petits villages charmants situés aux flancs de montagnes plissées aux sommets recouvert d’une couche de neige impressionnante, nous ouvrons notre atelier mécanique en pleine nature afin de vérifier la pompe et les bougies de la BMW qui continue à avoir des comportements des plus étranges. Un de ces moments atypiques et qui confirment que l’aventure est devenue notre quotidien. Le soir, Amaia se sent mal et passe une mauvaise nuit. Argument suffisamment recevable pour se convaincre que rester dans cet endroit magique n’est pas une mauvaise idée.
La nuit la plus haute.
Nous nous rendons à Dankhar et son ancien monastère érigé à 3'894 mètres se détachant sur le fond de la vallée. Après un arrêt logistique à Kaza, véritable mégalopole à l’échelle de la vallée, nous montons jusqu’au village de Komic (soit disant le plus haut du monde continuellement habité !) pour y passer quelques heures et profiter de l’ambiance sereine qui y règne. Nous redescendons installer notre tente quelques encablures plus bas à plus de 4'400 mètres, ce qui restera notre record.
On entre dans le dur.
Les deux derniers jours terminant cette aventure spitienne (néologisme oxymorique) sont des plus intenses. Le col de Kunzum, tout d’abord. L'ascension de ses 4'590 mètres entre boue et neige n'est pas aisée. Au sommet, le vent souffle, la neige n’est pas loin et la moitié du garde boue de Klyde a décidé de se faire la malle lors de la montée mais nous sommes heureux. Nous attaquons la descente en parallèle de l’eau qui ruisselle sur la route, c’est épique mais magnifique. Amaia gagne encore quelques points d’expérience en descendant sans frein arrière (notre réparation sommaire de Dehradun montrant ses limites) lui permettant d’amener ses aptitudes au niveau supérieur. Si la route de début journée (et donc avant le col) était en bon état, celle de fin est catastrophique. Cailloux, boue, sable. Heureusement les paysages sont splendides notamment grâce aux nombreuses cascades … qui viennent terminer leur course sur la route et que nous devons donc traverser une fois redevenue rivière. Après 10 kilomètres interminables, nous nous installons pour la nuit et sommes récompensés par un fantastique décor et les dernières lueurs du soleil (qui a finalement pointé le bout de ses rayons) venant illuminer les pics alentours.
Presque au bout.
Jour de la sortie prévue de Spiti. La pluie fouette la toile de notre tente. Nous nous motivons mutuellement pour en sortir et nous préparer à prendre la « route ». Nous savons que plus tôt nous partons moins les rivières à traverser seront importantes. Extrait de journal.
Nous arrivons à la première vraie rivière. Des gros cailloux menant à l’eau. Une espèce de seuil puis des pierres énormes formant le lit. Une voiture est bloquée en plein milieu et fait une énorme fumée blanche, sans parler de l’odeur d’embrayage. Amaia passe la première, je l’aide en tenant la moto. On est lents mais on y arrive. Je passe ensuite, plus aisément. Un motard venant dans l’autre sens nous dit qu’il y a pire plus loin.
En effet, vint ensuite Chhota Dara. Un petit ruisseau rejoint par un torrent formant une barrière d’eau de plus de 50 cm de profondeur et plusieurs dizaines de mètres de long. En nous entraidant, nous parvenons à passer cet obstacle non sans empêcher Bonnie d’aller barboter, la tête sous l’eau. Heureusement, la moto redémarre. Nous poursuivons sur une route atroce en ne comptant plus les « petits » cours d’eau à traverser. La boue fait son apparition, le frein arrière de Bonnie ne marche définitivement plus et Klyde peine toujours. Les kilomètres au compteur n'avancent pas et la route continue de s'empirer. Lors de certains tronçons, il y a de l’eau de partout. Nous faisons quelques chutes qui ne diminuent pas notre fatigue. Finalement, nous parvenons à sortir de la vallée et rejoindre l’axe principal, bitumé.
Retour forcé à Delhi.
Nous ne verrons malheureusement pas la région du Ladakh, censée être notre prochaine destination. Sortis de Spiti, en route vers le nord, dès les premiers lacets du col de Baralacha, Klyde renonce, et nous avec. Plus aucune puissance. Dans ces conditions, il faut se rendre à l'évidence, il est impossible de continuer. Il est donc temps de retourner à Delhi et de s’occuper de nos montures qui le méritent amplement. Nous faisons une pause sur le bord de la route pour encaisser cette décision douloureuse, mais il faut parfois savoir renoncer. Nous devons nous faire à l’idée que nous ne verrons pas le Ladakh. Et que nous le verrons certainement jamais, le retour nous en convainc. Du col du Rohtang à Delhi, tous les symptômes que nous avions enterré dans la vallée de Spiti ressurgissent. Fuyons.
Delhi.
Nous passons un mois et demi à Delhi afin de réaliser notre projet : retaper une vieille Royal Enfield pour en faire un side-car. Durant cette période, nous créons notre bulle pour survivre dans la capitale indienne et effectuons des allers-retours entre notre appartement et le quartier de Karol Bagh. Nous en profitons également pour bichonner nos montures, en particulier Klyde. Grâce à l’aide d’un garagiste hors pair nous identifions le problème (de la poussière dans la boite à air) et parvenons à le régler. Nos projets menés à bien, nous rejoignons le Népal en une journée de route. Juste avant de franchir la frontière, nous passons une dernière soirée sur le sol indien dans un orphelinat rempli de joie de vivre. Nous terminons ainsi ce deuxième séjour en Inde sur une note positive.
